Longtemps relégués au second plan de l’anatomie, les fascias suscitent aujourd’hui un intérêt croissant dans toutes les disciplines manuelles (chiropraxie, ostéopathie, physiothérapie, médecine du sport…).
Les recherches des 20 dernières années ont complètement transformé notre vision de ce tissu : le fascia n’est plus une simple enveloppe, mais un organe de communication, de perception et de régulation mécanique.
Pour les chiropracteurs, intégrer les connaissances fasciales dans la pratique quotidienne représente une évolution naturelle et enrichissante, tant sur le plan clinique que théorique.
Les fascias : un réseau vivant et intelligent
Le fascia est un tissu conjonctif continu, composé principalement de collagène et d’eau, qui relie toutes les structures du corps : muscles, os, nerfs, organes.
Selon le chercheur Robert Schleip (Université d’Ulm, 2012), le système fascial agit comme une matrice tridimensionnelle dynamique, capable de transmettre les forces mécaniques, d’influencer la posture et de participer au contrôle moteur.
Des études histologiques ont montré que le fascia contient de nombreux capteurs sensoriels — des propriocepteurs, des mécanorécepteurs et même des terminaisons nociceptives (Suarez-Rodriguez et al., Int. J. Mol. Sci., 2022). Cela signifie qu’il ressent, communique et réagit : il participe activement à la perception du corps et à la régulation du tonus musculaire.
Pourquoi les fascias concernent directement la chiropraxie
UN LIEN ENTRE STRUCTURE ET FONCTION
La chiropraxie s’appuie sur la relation entre la structure (le squelette, la colonne) et la fonction (le système nerveux, la posture, le mouvement). Or, le fascia est précisément le pont entre ces deux mondes : il relie l’os au muscle, le muscle à l’organe, et forme un réseau de continuité biomécanique qui explique comment une restriction dans une région peut influencer un autre segment du corps.
Les travaux de Huijing (2009) sur la myofascial force transmission ont démontré que les muscles transmettent leurs forces non seulement via leurs tendons, mais aussi à travers leurs connexions fasciales. Ainsi, une perte de glissement dans une zone fasciale peut limiter la mobilité articulaire ailleurs — une notion que tout chiropracteur rencontre dans sa pratique.
UNE CLÉ DE LECTURE DES DOULEURS CHRONIQUES
Les fascias sont aussi impliqués dans la douleur persistante. Selon Carla Stecco (Université de Padoue, 2018), les fascias peuvent subir des phénomènes de “densification” : le tissu devient moins fluide, plus rigide, et transmet des signaux douloureux. Ces modifications fasciales sont souvent observées chez les patients souffrant de douleurs musculo-squelettiques chroniques.
Comprendre cette dimension permet au praticien d’agir sur les causes tissulaires profondes, en plus d’agir sur les symptômes articulaires.
UNE MEILLEURE COMPRÉHENSION DE LA PROPRIOCEPTION
Le système fascial contient une quantité importante de récepteurs mécaniques (Golgi, Ruffini, Pacini), ce qui en fait un organe proprioceptif majeur (Schleip & Müller, Journal of Bodywork and Movement Therapies, 2013).
Lorsqu’un chiropracteur restaure la mobilité d’un segment vertébral ou libère une tension fasciale, il réinforme le système nerveux sur la position et le mouvement du corps — ce qui améliore la coordination et la stabilité.
Intégrer les fascias dans la pratique : les bénéfices concrets
UNE ÉVALUATION PLUS FINE
Observer la mobilité des tissus mous, la souplesse du fascia thoraco-lombaire, la qualité du glissement entre les plans musculaires… permet de mieux comprendre les chaînes de tension globales et d’adapter les ajustements.
DES TRAITEMENTS PLUS EFFICACES ET PLUS DURABLES
Les ajustements articulaires sont souvent encore plus efficaces lorsqu’ils sont associés à une modulation fasciale : techniques de relâchement myofascial, travail sur les plans de glissement, mobilisation douce des tissus conjonctifs.
Une revue publiée en 2024 (BMC Musculoskeletal Disorders, Isaji et al.) montre que ces approches combinées réduisent la douleur et améliorent la mobilité à plus long terme.
UN ENRICHISSEMENT PROFESSIONNEL ET PERSONNEL
S’intéresser aux fascias, c’est élargir son regard sur la biomécanique humaine, mais aussi redécouvrir la philosophie chiropratique originelle : le corps fonctionne comme un tout, et chaque partie influence l’autre.
Les connaissances fasciales redonnent sens à cette approche systémique, tout en s’appuyant sur des preuves scientifiques solides.
La formation continue : un investissement dans la qualité des soins
Aujourd’hui, plusieurs cursus de formation post-graduée proposent des modules sur la thérapie fasciale, la biotenségrité ou la proprioception tissulaire.
Ces formations permettent de :
- Perfectionner la palpation du tissu conjonctif
- Comprendre les interactions neuromusculaires
- Adapter les ajustements selon la qualité fasciale du patient
- Développer des stratégies de traitement globales (articulations + muscles + fascias).
Un appel à la curiosité scientifique
Les recherches sur les fascias sont en plein essor. Elles font le lien entre biomécanique, neurosciences et thérapies manuelles.
Comme le rappelle Langevin (2021), les fascias sont “un organe de communication mécanique et sensorielle entre les systèmes du corps”. Pour les chiropracteurs, se former sur ce sujet, c’est rester à la pointe de la science du mouvement humain, mieux comprendre la douleur, et offrir des soins plus précis et plus durables.
Conclusion
Les fascias représentent le chaînon manquant entre structure, fonction et perception.
En chiropraxie, les intégrer à la réflexion clinique ne remplace pas les ajustements, cela les complète et les enrichit.
S’intéresser au système fascial, c’est investir dans l’avenir de la profession : une chiropraxie plus fine, plus globale et plus humaine.
- Schleip R. (2012). Fascia as an Organ of Communication. Univ. Ulm.
- Huijing P.A. (2009). Epimuscular myofascial force transmission: implications for movement.
- Suarez-Rodriguez V. et al. (2022). Fascial Innervation: A Systematic Review. Int. J. Mol. Sci.
- Stecco C. et al. (2018). Fascia and Pain. Surg Radiol Anat.
- Isaji Y. et al. (2024). Fascial Manipulation for Musculoskeletal Disorders. BMC Musculoskeletal Disorders.
- Langevin H.M. (2021). Fascia Mobility and Proprioception. Life (Basel).
- Schleip R. & Müller D. (2013). Fascia as a sensory organ. J Bodywork Mov Ther.
